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Bruit des campus et silence des caucus

L'Impoligraphe

Les universités américaines, françaises, suisses même, sont, comme elles l’étaient il y a soixante ans face à la guerre américaine au Vietnam (avec les différences qu’on fera entre les deux mouvements et leurs racines distinctes), le théâtre d’une contestation collective de la guerre israélienne à Gaza. Une contestation nécessaire, largement couverte par les médias. Mais sous le bruit des occupations universitaires, le silence des actes pèse: la Suisse pourrait suspendre, ou en tout cas réduire, sa modeste contribution (20 millions) au financement de l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens (l’UNRWA), après qu’Israël a accusé l’agence d’être manipulée par le Hamas, et une douzaine de ses employés (sur 13’000) d’être complices du pogrom du 7 octobre…

Pour répondre à ces accusations, un rapport a été demandé par l’ONU à l’ancienne ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna afin d’évaluer l’implication d’employé·es de l’UNRWA avec le Hamas. Rendu le 22 avril, le rapport disculpe l’agence des accusations de connivence avec le Hamas, et s’il reconnaît qu’elle manque de neutralité (un manque inévitable, puisque elle a pour mission d’être aux côtés des Palestiniens), il conclut qu’aucun lien avec le Hamas n’a été établi, sauf ceux rendus nécessaires par l’accomplissement des tâches de l’agence (aide humanitaire, écoles, hôpitaux) dans un territoire contrôlé par le Hamas. Le rapport confirme surtout que l’UNRWA est «indispensable et irremplaçable» à Gaza. Israël a bien entendu récusé le document qui récusait ses propres accusations, et les Etats-Unis ont bien entendu biffé de leur budget les 350 millions de dollars d’aide à l’UNRWA. Mais l’Union européenne a appelé ses Etats donateurs à poursuivre leur soutien.

Et la Suisse? La majorité de droite de la commission de politique extérieure du Conseil national a majoritairement appelé à ne pas reprendre l’intégralité du soutien à l’agence onusienne mais à n’en débloquer qu’une partie pour une aide humanitaire (il est vrai qu’on peut difficilement effacer d’un trait de plume d’une commission parlementaire les 35 000 morts à Gaza), le Conseil fédéral devant décider seul du montant maintenu, avant que la Confédération stoppe tous ses financements directs puisque la commission le lui demande dans une motion.1>Le Courrier, 01.05.2024. Et l’UDC propose de «trouver des organisations humanitaires de remplacement, comme la Croix Rouge».

Le nouveau directeur général du CICR et ancien commissaire général de l’UNRWA, Pierre Krähenbühl, rappelle que l’institution genevoise n’a pas vocation à remplacer l’institution onusienne, que la première à reçu son mandat des Conventions de Genève, et la seconde de l’Assemblée générale de l’ONU.2>Le Temps, 29.04.2024. La droite suisse va-t-elle aussi proposer de renoncer à financer le CICR après avoir proposé que la Suisse soit le seul Etat européen à ne pas soutenir l’UNRWA? A raison de 20 millions de francs par an, c’est un soutien à la fois modeste (une ville comme Genève consacre deux fois plus de ressources à son opéra) et indispensable, symboliquement et matériellement.

Aussi politiquement, comme peut l’être la reconnaissance d’une évidence: celle que les Palestinien·nes n’ont jamais eu autant besoin d’une aide humanitaire (et politique, mais n’en demandons pas trop à la Suisse…) et que 6 millions de réfugié·es palestinien·nes au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans les territoires palestiniens dépendent littéralement de l’UNRWA pour vivre. Et continueront d’en dépendre tant qu’un Etat palestinien ou qu’un Etat «binational» israélo-palestinien n’aura pas été institué – n’est-ce pas d’ailleurs cette perspective qui suscite les tentatives récurrentes de démanteler l’UNRWA? «Il n’y a pas de peuple palestinien», aurait dit Golda Meir [alors première ministre israélienne]. Il n’y a donc pas besoin d’une agence pour en aider un – et l’existence même d’une telle agence ferait croire qu’il y en a un… Or il y en a un, et si une part considérable de ce peuple est exilée, ce n’est tout de même pas du fait de l’UNRWA. Il y a une diaspora palestinienne, il y a eu une Nakba, démanteler l’UNRWA ne changera pas cette histoire.

La Suisse pourrait donc, si le Conseil fédéral suit la commission du Conseil national, réduire sa contribution à l’UNRWA, et à terme la supprimer, alors que d’autres pays (l’Espagne, le Portugal, la Belgique), dont on ne sache pas qu’ils soient manipulés par le Hamas, ont décidé d’accroître la leur. Faudra-t-il que des villes, des communes, des cantons, se substituent à la Confédération pour soutenir une agence dont l’action est si indispensable que, sans elle, on se retrouverait face, pour le moins, à une évidente épuration ethnique à Gaza – où plane, selon la Cour internationale de justice un «risque de génocide»? Nous sommes quelques-un·es à être prêt·es à le demander à la Ville de Genève où le hasard des urnes nous fait siéger au Conseil municipal. Et peut-être sommes nous aussi une majorité de ce Conseil à faire cette demande, voire à décider de ce soutien. Parce que quand «l’autorité supérieure» faillit à ses devoirs, le modeste «échelon fondamental» peut toujours le faire à sa place.

Ou alors, on attend que la Chine, la Russie ou l’Iran le fassent?

Notes[+]

Pascal Holenweg est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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